Le résumé de mon parcours avec la jupe

Admirer, envier, essayer, apprécier, se questionner, douter, être frustrer, craindre, se cacher, prendre sur soi, assumer, agir, se battre, communiquer, s'ouvrir, montrer l'exemple, expliquer, réaliser, aimer, abandonner, regretter, se réaffirmer, s'imposer, se livrer, se libérer, s'élargir, être heureux.

Il serait trop long, de plus ennuyeux pour le lecteur, de développer dans un unique texte chaque moment, chaque étape et chaque réflexion de ma vie en rapport avec la jupe et les vêtements en général tellement ils sont nombreux. J'ai donc essayé ici de synthétiser et de ne reprendre que certains points.

… interdiction de porter le vêtement attribué exclusivement à l’autre sexe…

Depuis des millénaires, hommes et femmes portent robes et jupes. Pour diverses raisons et dans la plupart des pays du monde, les hommes se sont appropriés le pantalon au point de délaisser les vêtements inférieurs ouverts, augmentant ainsi la différenciation homme/femme par l’aspect (homme=pantalon/femme=jupe et robe), au point que ce soit encré dans notre culture et devienne une interdiction de porter le vêtement attribué exclusivement à l’autre sexe.

L’interdiction n’est pas forcément de façon légale mais par les propos, les regards, le rejet, la peur du qu’en dira-t-on, l’éducation, les idées reçues, les principes, les traditions. En effet, il y a environ un siècle, vos arrière-grands-parents autorisaient-ils vos grands-mères à porter un pantalon quand elles étaient jeunes ? Aujourd’hui, accepteriez-vous que votre garçon aille en jupe à l’école s’il le demandait ?

Depuis un siècle, des femmes ont bravé l’interdiction en portant des pantalons, montrant ainsi l’exemple à d’autres femmes qui ont suivi, jusqu’à ce que ce vêtement devienne également féminin, soit adapté à la morphologie des femmes et rentre dans la normalité du quotidien. Cette liberté acquise s’est même élargie à tous vêtements et chaussures puisqu’une femme portera même une chemise ou des rangers du rayon homme, le pyjama ou le boxer de son petit-copain sans qu’il y ait un rejet systématique qui existerait si dans la même logique un homme portait une robe ou des talons du rayon femme, ou une nuisette en dentelle de sa compagne.

… jeune garçon… je ne pouvais qu’imaginer…

Et moi, jeune garçon à peine au collège, qui voyais les filles tantôt en pantalon ou short, tantôt en jupe ou robe aux motifs et formes si divers et nombreux que je ne pouvais qu’admirer sur les autres, et au confort que je ne pouvais qu’imaginer. J’en effleurais un aperçu en empruntant en cachette d’anciens vêtements laissés au grenier par ma mère, puis qui s’est confirmé en me déguisant en grand-mère en robe fluide pour une fête du village. Quelle sensation agréable de porter ces vêtements ouverts, parfois aux matières inexistantes dans les vêtements masculins ! Mais quelle frustration de devoir être une femme, et donc pas moi-même, pour porter certains vêtements que j’aime. Pourquoi ces vêtements, qui ne sont en soit que des bouts de tissus, m’étaient inaccessibles, moi un garçon, un homme ? La doctrine culturelle et éducative, incrustant dans notre inconscient des idées préconçues qu’on suit sans se poser de question, m’a fait me demander si je n’étais pas homo alors que je n’étais nullement attiré par les garçons, ou si je ne souhaitais pas être une femme car dans notre culture seules les femmes peuvent vouloir porter des vêtements délicats, fluides, avec certains motifs et formes dits « féminins ».

Cela peut paraitre anodin pour une fille pour qui c’est une habitude et une normalité, mais pour moi c’était la découverte du plaisir de porter des vêtements à la fois beaux et à la fois agréables.

… J’ai commencé… à oser sortir en jupe en public…

C’est lorsque j’ai pris mon indépendance que j’ai pu m’acheter des jupes, n'existant que dans un seul rayon qu'est celui des femmes, les portant uniquement chez moi par peur de la réaction d’autrui. Quelques années plus tard, j’ai rencontré une femme qui aimait me voir en jupe et au même moment j’ai eu accès à internet sur lequel j’ai découvert que je n’étais pas le seul homme à vouloir porter des jupes, et qui plus est aussi bien des homos, que des hétéros comme moi. Cela donne une autre vision sur soit, sur ce qu'on aime, voire nous rassure. J’ai commencé de temps à autre, avec beaucoup de craintes, à oser sortir en jupe en public, et au fil des années j’ai pris de l’assurance.

… quel constat de voir ces difficultés…

Malheureusement, les seules informations relatives au port de la jupe par les hommes étaient réparties sur plusieurs forums de discussions et noyées dans une multitude de messages. Afin qu'elles soient plus facilement accessibles à ces hommes se sentant seuls dans ce désir de liberté vestimentaire, il fallait que ces informations se trouvent dans un même et unique lieu. J’ai donc créé un site internet ayant pour objectif de les regrouper. Ensuite, je lui ai ajouté un forum de discussions permettant également aux porteurs de jupes de se retrouver dans un même lieu, afin de confier leurs difficultés, de s’entraider, … Et quel constat de voir ces difficultés ! Ne pas oser sortir en jupe, ne pas oser en parler à son entourage, être menacé par sa compagne de divorce, devoir choisir entre sa petite-amie et porter une jupe, être privé par sa fille de voir ses petits-enfants... Quelles aberrations qu'ont certainement connu également les premières femmes a avoir osé porter le pantalon ! Quelle injustice ! Quelle privation de liberté ! Quel sexisme envers les hommes ! Il fallait faire évoluer les mentalités, faire bouger les choses !

… créé en 2007 l’association HeJ (hommes en jupe) …

Persuadé que c’est par l’information et par l’exemple que les préjugés et les mentalités pourraient changer, j’ai contacté de nombreux médias pour qu’ils parlent du sujet. Mais il fallait en plus apporter de la crédibilité aux actions menées, montrer que notre démarche était sérieuse. Avec des membres du forum, nous avons donc créé en 2007 l’association HeJ (hommes en jupe) que je présidais. L’effet a été bénéfique, il y a eu entres autres une vague d’articles dans la presse.

Mon intervention dans les médias a commencé en 2005, journaux, magazines, radios, télévisions, locaux et nationaux. D'autres hommes ont suivi, montrant ainsi que je n'étais pas un cas isolé. J'étais heureux de voir que des hommes ont su se regrouper et sortir de l'ombre pour cette liberté pour tous.

… me suis lancé dans ce projet d’exposition…

Par ailleurs, des expositions sur la jupe masculine ont eu lieu à Madrid, New-York et Londres mais à ma connaissance aucune en France. J’ai souhaité laisser ma place de président de l’association et par la suite me suis lancé dans un projet d’exposition qui me trottait déjà dans la tête mais pour lequel je manquais de temps libre. Cet évènement a pu exister essentiellement grâce à l'aide et à la participation bénévole d'hommes, femmes et enfants, d'artiste, association, école, boutique, ... du Limousin ou d'origine et qui n’avaient aucun lien pour la plupart avec les jupes masculines et que j'ai réussi à réunir autour de ce projet. Cette exposition est une première en France.

Sa première et complète édition a eu lieu en avril 2012 à Ambazac à 25km de Limoges. Les visiteurs ont eu la possibilité de s’informer sur le port de la jupe par les hommes à travers l’histoire, ont pu découvrir des hommes contemporains porteurs de jupes, ont découvert des jupes adaptées aux hommes d'aujourd'hui réalisées par des étudiantes de BTS et de couturiers français et étrangers.

Par la suite, une partie de l’exposition a été présente sur Limoges, à l’étage du rayon Homme des Galeries Lafayette, magasin pour lequel j'ai fait défiler 8 hommes en jupe, au lycée professionnel Le Mas-Jambost, dans la cafétéria de l’établissement public pour lequel je travaille, et lors de la manifestation « Paroles de femmes » à Rezé à côté de Nantes. L'exposition est depuis constamment présente virtuellement sur mon site internet.

l'autorisation aux hommes de venir travailler en jupe …

L’année 2016 connu un été très chaud. La DRH de mon lieu de travail adressa à l’ensemble du personnel un courriel de préconisation à suivre pour le bien-être au travail dans ces conditions de forte chaleur, dont le conseil de porter des vêtements amples. J’ai profité de cette occasion pour demander, au vu du fait qu’une jupe est un vêtement ample comparée à un pantalon, si elle autorisait donc les hommes à venir en jupe au travail. Elle s'est basée sur le texte « Fortes chaleurs : comment peut-on s’habiller au travail ? » du site officiel Service-Public.fr pour donner l'autorisation aux hommes de venir travailler en jupe sous les conditions que la tenue reste correcte et qu'ils ne soient pas en contact avec le public.

Le 26 août 2016, à un peu plus de 40 ans, j'ai fait ma première journée de travail en jupe. Depuis, je suis rarement en pantalon sur mon lieu de travail.

Travailler en jupe a été une étape importante dans ma vie de porteurs de jupe. Terminé de devoir limiter mon choix au pantalon pour commencer ma journée, même quand très chaude l'été, de devoir me changer en rentrant pour me mettre à l'aise en jupe, bref de se sentir contraint à une injustice sexiste vestimentaire. Une libération !

... mon style s'est libéré, en adéquation avec l'évolution de mes réflexions et de mon audace...

Au plus loin de ce que je me souvienne, j'ai toujours trouvé beaux tous types de vêtements des rayons femmes, beaucoup plus variés et nombreux que ceux des rayons hommes. Certains vêtements, chaussures, motifs, matières, formes sont même totalement inexistants dans l'offre aux hommes. Il suffit de consulter les catalogues de vente par correspondance, lorsqu'il y a 10 pages "hommes" très peu différentes de celles du catalogue de l'année précédente il y a au moins 60 pages "femmes" avec beaucoup de nouveautés.

J'ai essayé beaucoup de vêtements dans ma vie, en fonction de ce qui m'était à disposition ou accessible. Je trouve magnifiques des vêtements mais que je juge ne pas m'aller une fois sur moi, un peu comme lorsqu'on choisit dans un magasin un papier à tapisser et une fois posé sur la totalité d'un mur on trouve cela moche. Avec certaines tenues je peux me trouver beau, et avec d'autres je suis plus mitigé car ne réussissant pas à déterminer si elles me vont, certainement parce qu'elles ne correspondent pas à l'idée que j'ai de l'esthétique sur un homme au cours de la période de l'essayage ou de l'audace que j'aurais ou non à la porter.

De mes premiers essais à aujourd'hui, mon style s'est libéré, en adéquation avec l'évolution de mes réflexions et de mon audace. Mes premières sorties en public en jupe étaient avec des jupes du rayons femmes que je sélectionnais de façon à ce qu'elles ne fassent surtout pas féminins même si au final çà ne faisait pas toujours élégant. Durant une période, il a été difficile de trouver ce type de jupes alors j'ai décidé de m'autoformer à la couture et de m'en réaliser. Je me basais sur les jupes traditionnellement portées par les hommes pour créer les miennes (sarong indonésien, kilt écossais). Ensuite, n'ayant que peu de temps, j'ai à nouveau acheté dans les rayons femmes de sites internet des jupes moins chères que du tissu, quitte à devoir faire quelques retouches couture pour les adapter à ma morphologie d'homme.

Pendant ce temps des boutiques en ligne vendant des jupes pour hommes ont vu le jour, souvent basées sur le kilt ou la jupe très longue, avec un style très masculin et les standards masculins en terme de motifs, couleurs et tissus. Ce choix est certainement dû au souhait de toucher un maximum d'hommes encore frileux à porter des jupes qui ont culturellement une connotation très féminine. En effet, la plupart des hommes peuvent affirmer qu'ils considèrent les hommes et les femmes comme égaux mais ont quand-même peur pour leur virilité de faire comme les femmes vestimentairement, comme si cela les dévaloriserait de faire comme elles. Pourtant on n'a honte que de ce qu'on considère comme inférieur. Néanmoins, je pense que la réticence vient plutôt de la peur de ce que vont dire ou penser les autres. Dans cette offre limitée, je ne m'y retrouve pas. J'aime certains tissus légers, certaines matières agréables, certains motifs variés et certaines formes desquels je ne veux être encore privé. La vie est courte et composée malgré tout de difficultés qu'on ne peut pas éviter et auxquelles il faut faire face, alors je n'ai plus envie de supporter la privation de choses aussi futiles que des vêtements qui m'apportent une satisfaction de confort, de bien-être et d'esthétisme que j'aime avoir. 

Aussi, ma vision du masculin/féminin a évolué et je l'explique dans mon texte titré "dits féminins" présent ici. Avant je n'aurais porté mes jupes qu'avec des sandales jambes nues, ou des bottes et jupes assez longues pour ne pas voir mes collants. Aujourd'hui j'accompagne mes jupes courtes de collants avec ou sans motifs, noirs ou de couleur, que je n'hésite plus à montrer en portant des bottines. Je porte également des robes qui me vont morphologiquement, des formes et motifs de jupes plus variés. Auparavant j'aurais considéré cela comme féminin ou trop féminin pour un homme, aujourd'hui dans ces vêtements, chaussures et sous-vêtements je me trouve élégant, beau, classe, voire parfois sexy, pour mon plaisir et celui de ma compagne quand j'aurais trouvé l'âme-soeur. Penser autrement est une chose, l'assumer en est une autre. En effet, porter une autre forme de vêtement qu'habituellement, un autre motif, d'autres accompagnements (bottines, collants, bijoux), ou une tenue donnant un autre esthétique général est à chaque fois un challenge avec l'appréhension du changement du regard d'autrui et de son jugement envers moi, une prise de risque d'être confronté à une incompréhension de personnes qui se sont fait leur propre idée de l'homme en jupe avec leurs propres limites de ce qui est acceptable.

Justement, le relationnel dans tout ça ?

L'esthétique est la première source de réactions, d'avis et de jugements, même sans avoir échangé ou sans rien connaitre de l'autre, car c'est la première chose qu'on voit chez vous. De plus, une personne qui vous connait déjà peut changer son regard sur vous parce que vous avez modifié une chose dans votre esthétique. On sait tous qu'il y a ou il y a eu des idées reçues sur les roux, les noirs, les nains, mais lorsqu'il s'agit de vos tatouages, vos teintes de cheveux ou vos tenues ce sont vos actes qu'on juge, que ce soit négativement ("c'est n'importe quoi", "il ne faut pas être bien dans sa tête") que positivement ("il a du courage d'oser", "il est classe").

Quand on sort de la "norme" esthétiquement, on s'attend à une multitude de réactions négatives, ce qui est le premier frein à assumer nos goûts et nos choix. Et il ne faut pas se le cacher, il y en a. Cependant, je relativise car comparé au nombre de personnes que je croise lorsque je suis en jupe, et encore plus depuis quelques années puisque je suis en jupe quasiment tous les jours dont au travail, le nombre de réactions négatives qu'on me montre est minime. Et celles qu'on ne me montre pas n'ont pas d'importance si elles n'ont pas de conséquences sur ma vie.

J'inclus les réactions neutres dans celles positives car ces gens agissent avec vous de la même façon quelle que soit votre esthétique.

Je suis conscient que j'ai néanmoins une situation particulière engendrée par mes choix et mes actes. Je doute que ma vie aurait été identique si je n'avais pas assumé et n'avais rien fait. Mes filles m'ont toujours vu en jupe et ont été éduquées dans la tolérances et l'ouverture d'esprit, dans ma région actuelle on me voit en jupe depuis mon arrivée, mes actions médiatiques pour expliquer et montrer qu'un homme peut porter des jupes a certainement aidé vis-à-vis à la fois des personnes qui m'ont connu avant la jupe et à la fois des personnes desquelles j'ai fait connaissance dans ma région actuelle. J'ai contacté ma DRH pour pouvoir porter la jupe au travail. Quand on me cherche sur internet on trouve des articles sur les jupes pour hommes et mon site internet dédié à ce sujet. Ma dernière compagne qui n'imaginait pas qu'un homme pouvait porter des jupes a été voir mon site internet avant de me contacter sur un site internet connu de rencontres amoureuses. Et tout ceci a certainement fait boule de neige : les gens qui me connaissent en parlent autour d'eux, mes filles expliquent mes choix à leurs amis, des hommes m'ont contacté pour me dire qu'ils ont commencé à porter la jupe, des écoles me contactent car elles souhaitent parler de la jupe pour hommes à leurs élèves, etc.

J'aurais pu attendre que les mentalités évoluent, espérant que d'autres la fasse évoluer, avec de longues années voire toute ma vie dans la frustration du manque de liberté d'être moi. Mais non, j'ai assumé et j'ai pris mes responsabilités en agissant de façon à ce que mes choix soient compris et acceptés, avec les risques que cela comporte, mais surtout avec le bonheur et le bien-être que cela m'a apporté et m'apporte.

On ne peut prouver que mes actions pour la liberté vestimentaire masculine aient eu des conséquences positives sur notre société, et on ne peut prouver l'inverse non plus. Mais au vu du constat bénéfique autour de moi, j'ose espérer que cela a eu des répercussions plus larges que ma propre vie.

Jupement votre.

Jérôme Salomé.

- Site internet/blog : lesjupesmasculines.fr

- Article Dits « féminins »